Présentation d’un parcours.
Quelques propos de préoccupations artistiques
La musique a bercé mon enfance par ma mère qui était pianiste ; à partir de l’age de 15-16 ans est venu s’adjoindre un intérêt pour la peinture : des photos et des tableaux d’un parent galeriste à Paris entre 1880 et 1920, les musées de peintures, et les tableaux sur les murs d’un de mes oncles peintre et architecte. Entre 19 et 27 ans, un bourrage de crâne non dénué d’intérêt, d’études scientifiques n’a servi, à cette époque-là, qu’à me donner envie de m’évader de ce milieu, d’autant plus que pendant mes 2 dernières années de spécialisation scientifique , je prenais des cours de dessin par correspondance.
Ces études terminées, j’ai eu la chance d’être accepté dans l’atelier du peintre Bergougnan durant 2 années aux beaux-arts de Toulouse ; avec acharnement et beaucoup de candeur, sous l’œil amusé du vénéré professeur j’ai tordu le cou systématiquement à notre réalité visuelle en essayant superficiellement les principaux courants picturaux de la fin du 19è. et du 20è. siècle.
Ne pouvant subvenir à mes besoins vitaux de base par la peinture, je décidais d’ouvrir un laboratoire d’analyses médicales en 1970 ; après 3 ans de mise en route de celui-ci, je décidais de reprendre plus régulièrement la peinture et m’inscrivais aux cours du soir aux beaux-arts de Toulouse ; cependant, dès les années 70, à la moindre occasion, je plantais mon chevalet à l’extérieur pour peindre des paysages. Lorsque mes yeux ont commencé à rester collés sur la toile en structuration et déstructuration du paysage, le motif ne servant plus que de motivation, je suis de nouveau resté à l’atelier ; les nus dessinés (massacrés) aux beaux-arts, se confrontant aux nouvelles structures particulières de mes paysages ainsi que ma découverte de la peinture expressionniste américaine des années 1940 à 1960, m’ont amené à quadriller systématiquement mes supports et utiliser divers mediums noirs essentiellement ; cette période en blanc et noir dans une recherche d’écriture a été nécessaire dans l’approfondissement de mes sensations de base face à la forme qui devenait ainsi plus un symbole qu’un essai de report de réalité visuelle sur un plan. C’est ainsi qu’a pu naître un monde au bout de mon bras, mais ce monde-là n’existerait pas si certains grands maîtres de la peinture ne m’avaient pas imprégné de la force de leur regard, de l’esprit et de la qualité (cohérence) de leur démarche tout au long leur vie.
De ces influences marquantes, a pu naître au cours de mes années de pratiques expérimentales de toiles en toiles une peinture qui ressemble de plus en plus à ce que je pressens être intérieurement ; en fait, je vis en elle et elle vit en moi ; de cette façon, je ne peux pas avoir un soupçon de pensée mercantile ; j’ai bien été présent depuis une trentaine d’année chez quelques marchands d’art, mais il a toujours été plus important pour moi de voir mes toiles sur d’autres murs que les miens pour les confronter à d’autres espaces et à d’autres regards ( il faut être au moins deux pour comprendre et utiliser un langage symbolique particulier ), que d’en faire un produit commercial d’ornement ou de placement. Avec cette réserve de luxe, qui éloigne d’un investissement pictural toute approche de modes, je m’isole quelque peu ; notons que toute béatitude d’un être devant un spectacle ineffable convainc celui-ci de l’aura incontestable et universelle de la chose présentée et l’homme qui en est responsable ne peut qu’être rare ; c’est ce côté religieux qui m’attire dans l’art, même si, humblement, malgré une ferveur certaine, le manque de talent et de travail ne m’a que très faiblement approché de l’indicible. Ma nature profonde d’artiste est ainsi « pure », et je suis très fier de cela.
Pour en revenir à des propos plus terre à terre, parlons du châssis nu par lequel débute l’aventure de l’élaboration de toute nouvelle toile ; ma ferveur se manifeste à partir de cette étape ; je ressemble, à ce moment là, à l’artisan du bois et (ou) du tissus qui prépare amoureusement un objet pour le rendre beau dans son utilité future ; participer à la naissance et aux premiers balbutiements d’une surface plane pour essayer de donner à son état futur sa propre identité, permet au peintre de respecter toutes les étapes de l’élaboration (je dirais : de l’éducation) qui fait que nous pouvons la regarder en comparant son parcours au notre ; nous nous mirons mutuellement en sachant que l’image aboutie n’est qu’un passage dans le temps et que sa présence a quelque chose à voir avec nos vanités illusoires cérébrales ; personnellement, je ne me sens plus peintre à ce moment là, et, tout en regardant avec candeur ( et un étonnement passif ) ce que nous proposent les extensions de l’art vers les nouvelles technologies, je suis prêt à délirer de nouveau sur une nouvelle surface dans mon propre monde ( une formation de base dans la biologie peut se ressentir dans ma peinture, mais certainement pas les technologies de pointes adaptées aux analyses que j’ai dues subir pour ne pas me noyer à contre-courant ). La célèbre phrase de Nietzsche : « Dans toute morale ascétique, l’homme adresse sa pensée à une partie de lui-même divinisée et il lui est dès lors nécessaire de diaboliser l’autre partie » ……est la bienvenue pour modérer mes propos sur les nouvelles technologies scientifiques ou artistiques.
Pour reprendre le fil de mon parcours artistique, entre 1985 et 1995, je suis passé sur ma toile d’une image issue d’un expressionnisme dynamique (sorte de combat avec la toile, utilisant autant de larges spatules d’étalement que de larges pinceaux emmanchés , ainsi que des couleurs industrielles glycérophtaliques), à une image d’un travail plus tranquille ( mes pinceaux n’étant plus des armes, mais des brosses plus ou moins caressantes) maîtrisant davantage les gestes de la période précédente. J’ai essayé alors , de donner plus de sens en introduisant quelques éléments symboliques de mon propre langage ; ceux-ci proviennent d’élans célestes (arrondis, cercles) et terrestres (cube, quadrillage , plinthes vissées ou occulées ....) intimement liés que j’aimerais plus primitifs (disons pré-renaissants), comme si j’apprenais ce que je cherche lors de toute inscription, loin d’un savant savoir . Je suis attiré par une sorte d’équivalent pictural de ce qui se passe à l’intérieur d’un corps dans son organo-fonctionnalité en laissant de côté l’enveloppe de celui-ci, couplé à une sorte de bâti structurant le tout . Dans l’espoir d’unifier l’objet et le sujet de chaque toile , le côté figural ne s’inscrit que par les aléas de plasticité de l’ensemble . Puisque mon attirance actuelle vers un équivalent pictural à la bio-physiologie animale se manifeste, les échanges entre les milieux intra et extra-cellulaires et (ou) entre les différents organes et en particulier le cœur se retrouvent très naturellement dans mes préoccupations d’inscription sur la toile; la musique m’est nécessaire en débutant une nouvelle aventure picturale et sa pulsation, en phase avec celle d’une rythmie ou d’une arythmie cardiaque, se manifeste en influençant mes premiers gestes ; c’est la vie qui s’introduit plus ou moins consciemment , et les échanges entre les différentes parties déjà inscrites amènent de la densité à l’ensemble.
Donner une image très lisible malgré l’ambiguïté de sa représentation (sans ambivalence cependant), a été probablement, dans mon action picturale, l’occupation essentielle de mes dix dernières années de peinture.
A la satisfaction troublée d’une toile surprenante qui vient de se terminer, s’ajoute le pur bonheur de ressentir qu’une partie de soi-même se dissémine ou se disperse dans la nature ; il n’est alors plus question de sagesse par un repli sur soi-même mais de son propre approfondissement dans la réalité de ce qui nous entoure.
Daniel Gerhardt par CentreBellegarde