Textes

D.Gerhardt au "Carré" du musée Bonnat à Bayonne de juillet à septembre.

Texte de Didier Arnaudet (Bordeaux) pour l'exposition de l'été 2003

De toute évidence, cette peinture est d'abord un geste et donc un faisceau de possibles. Le risque est de céder à la force de l'engagement. Sans recherche ni réflexion.

Daniel Gerhardt connaît les dangers de l'exercice. Son geste est avant tout un choix et un accomplissement. Mais il n'est pas question par là d'en connaître tous les ressorts, d'en calculer tous les impacts pour gérer au mieux sa densité et son éclat. Il faut essentiellement le vivre et le penser. Le geste répond à un désir de peinture et ce désir décide de sa signification. Nous sommes en présence de formes et de tensions, de couleurs et de circulations, de traits et de points, de signes de figuration et de recours à l'abstraction. Ce qui se développe, c'est une énergie qui doit conserver son dynamisme initial. Cette peinture ne veut compter que sur elle-même pour s'imposer et pour agir. Elle doit avoir autant de force que les autres réalités entre lesquelles elle s'insère. Elle doit se construire dans une constante exigence et assurer sa cohérence dans des liens ininterrompus entre les éléments qu'elle convoque et auxquels elle assigne une place. Daniel Gerhardt n'en fait pas un accès à une connaissance supérieure ni un processus d'ouverture sur l'invisible. Il la donne simplement mais fermement pour ce qu'elle est : une activité ayant pour objet une expression pleinement prise en charge et pour résultat une plus claire conscience de l'acte de vivre. Car, en dépit de la résonance très physique de la démarche, c'est finalement une expérience sensible que Daniel Gerhardt poursuit depuis tant d'années, faisant participer aussi bien sa condition d'homme que le monde qui l'environne. L'aridité qu'on pourrait craindre est donc circonscrite par une sensualité parfaitement équilibrée.

Didier ARNAUDET- Mai 2003

Texte du livre « ENCRES » par Marcelin Pleynet, préalable à ses poésies sur les encres de D.Gerhardt

(Edition Arte-Maeght 1990)

Lorsque Daniel Gerhardt m'a demandé d'accompagner ses encres d'une suite de poésies, c'est paradoxalement ses œuvres peintes qui sont spontanément venues occuper ma mémoire rétinienne. Les petits formats noir et blanc vivent la vie de grands tableaux. En sorte d'acte spontanément engagé, ils sont comme autant de zooms avant sur ce qui fixe et détermine l'inspiration picturale de l'artiste. Plus je les regarde et plus je les perçois comme une multitude de pôles d'attraction et tels que perçus dans l'espace mouvant qu'ils s'inventent, ils constitueraient dans leur ensemble le volume d'un récit, que la peinture exposerait frontalement. N'est-ce pas cela qui a encouragé Daniel Gerhardt à précisément réunir ces encres en volume ?

L'accumulation sémantique que constitue ce volume est à considérer étape par étape, pièce par pièce et dans la mémoire de chaque pièce ici superposée aux autres, et parfois même se faisant face. On a sans doute trop pris l'habitude de considérer les tableaux, les peintures, comme des objets dont l'espace frontal s'inscrit dans les limites d'un rectangle ou d'un carré, oubliant que ses objets peints se déploient en tous sens, le plus souvent comme des mondes (des univers) qui n'ont ni commencement ni fin. Et la peinture de Daniel Gerhardt, plus que toute autre, nous engage dans un univers dont le moins que l'on puisse dire c'est que sa complexité spatiale est fertile en rebondissements. D'abord parce que la réalisation picturale, le mouvement, le geste, la facture, sont mouvements et gestes d'une aventure intime qui s'expose et se lève dans l'invention spontanée d'un peuple de figures qui n'appartiennent qu'à lui. Le souvenir que j'ai de ses grands tableaux est celui que je dirais d'un univers intérieur (physique aussi bien) en continuel mouvement de déplacement et d'expansion, de naissance et de reproduction. Développement en volume et en surface d'un tissu organique de calligraphies et de caractères exotériques et romanesques qui nous restituent la fiction colorée, l'espace-temps et la gravitation réalisée de l'œuvre ; de l'œuvre dont ce seraient aujourd'hui détachées, comme autant de météores, d'aérolithes, d'atomes noirs, les encres reprenant ici en elles-mêmes et pour elles-mêmes ce qui règle l'ensemble. Aussi ai-je joué le jeu et maintenu l'écriture poétique d'une page à l'autre comme circulation sanguine (rouge et noire-rouge et blanche-noire et blanche) , étymologique de l'encre où se prennent, s'abîment, naissent et surgissent les formes et les réalisations qui peuplent l'imaginaire de Daniel Gerhardt. J'ai donc suivi d'une page à l'autre ma propre mémoire portée par cette question constante : qu'est-ce qui s'engage en nous et se fixe, et s'oriente du blanc au noir, dans ce que l'on dit « l'encre de chine » ?

Quel espace lève le mot vis à vis de la figure ? Quel plein et quel vide, quel corps physique respire, s'érige et fait tableau lorsque l'écriture vient d'ailleurs comme l'encre vient de Chine ?

Ci-dessous deux pages extraites du livre :

Page extraites du livre ENCRES Page extraites du livre ENCRES